Entrepreneuse et anticapitaliste - Entrevue avec Jasmine Touitou - Épisode 20 de la Ligne diagonale

Être entrepreneuse et anticapitaliste – Entrevue avec Jasmine Touitou

Est-ce cohérent d’être entrepreneuse lorsqu’on est anticapitaliste? Comment naviguer dans le monde des affaires sans trahir nos valeurs? 

Pour en parler, j’ai reçu Jasmine Touitou, une coach en storytelling ouvertement politisée, engagée et anticapitaliste.

Mets ça dans tes oreilles!

 

Une stratégie de marketing répulsif

Souvent, on parle de comment attirer des prospects vers nous afin de leur vendre notre offre. Jasmine, elle, a choisi de mettre aussi en place ce qu’elle appelle du marketing répulsif. Ce que ça veut dire, c’est de volontairement repousser les personnes dont les valeurs ne sont pas alignées avec les siennes. 

Elle a entre autres appelé son infolettre “Woke me up before I go go”, et simplement l’utilisation du mot woke peut effrayer les personnes plus conservatrices! 

La raison est que son temps est précieux, et qu’elle veut donc éviter de le perdre, mais aussi de le faire perdre aux autres. 

 

La base: qu’est-ce que le capitalisme?

Pour nous aider avec cette définition, je suis allée voir ce que disaient 2 dictionnaires:

“ Régime économique et social dans lequel les capitaux, les source de revenus, les moyens de production et d’échange n’appartiennent pas à ceux qui les mettent en œuvre par leur propre travail.”  – Le Robert 

“1. Statut juridique d’une société humaine caractérisée par la propriété privée des moyens de production et leur mise en œuvre par des travailleurs qui n’en sont pas propriétaires. 2. Système de production dont les fondements sont l’entreprise privée et la liberté du marché.” – Larousse

En résumé, le capitalisme est un régime politique et économique dans lequel la force de travail des travailleurs et travailleuses ne leur appartient pas et est exploité par des personnes qui possèdent les moyens de production et les capitaux.

 

Donc, est-ce une contradiction d’être entrepreneuse et anticapitaliste? 

En tant qu’entrepreneuses, on est exploitées par nous-mêmes. On subit l’économie capitaliste, mais, dans le cadre de notre travail, notre force et nos capitaux nous appartiennent. C’est pourquoi la gauche propose souvent l’entrepreneuriat comme une porte de sortie à l’exploitation que nous propose la société actuellement.

Bien sûr, l’accumulation de profit fait partie du système économique capitaliste, mais, à moins de vouloir vivre totalement en marge de la société (ce qu’on respecte, hein!), il faut se plier à certaines règles.

J'embrace mes contradictions. Quand on les connait, c'est déjà remarquable. - Jasmine Touitou

 

Serait-il possible d’être entrepreneur·euse·s dans un système différent du système capitaliste?

“Si on considère que l’entrepreneuriat, c’est de créer des projets, oui. Mais si on considère que l’entrepreneuriat, c’est d’échanger son intellect et sa force de travail contre de l’argent, non.”, dit Jasmine.

Mais il est très difficile pour un·e humain·e d’imaginer quelque chose qui n’existe pas. Le cerveau se base toujours sur des informations connues. Imaginez comment serait le monde entrepreneurial en dehors du système capitaliste est donc plutôt compliqué! 

On imagine que l’entrepreneuriat serait davantage un loisir, sans intérêt pécuniaire.

 

Le capitalisme et la méritocratie 

La méritocratie, c’est la croyance qui part du postulat que la réussite est le fruit du mérite. Donc, que si tu y mets les efforts, tu peux réussir tout ce que tu veux. C’est le fameux “Si tu veux, tu peux”,  peu importe ta situation.

Le système capitaliste avec le libre marché, l’offre et la demande, et le droit de créer son entreprise peut donner l’impression que tout est possible pour tout le monde. Mais ce serait une erreur de penser que les privilèges n’influencent pas les résultats.

Le fait d’être nées où nous sommes nées, dans des pays fortunés et libéraux, c’est une chance. Comme Jasmine le dit: “Les gens ne supportent pas qu’on leur parle de chance, parce qu’ils ont l’impression que ça leur enlève leur mérite et leur travail.” Pourtant, la différence entre celleux qui réussissent et celleux qui ne réussissent pas, ce n’est pas le travail et les efforts.

C’est plutôt la santé, la chance, être au bon moment au bon endroit, etc.

Je parle aussi de la notion de privilèges dans l’épisode sur comment se lancer en affaires quand on n’a pratiquement pas d’argent

 

Arrêter de se chicaner entre allié·e·s 

Ainsi, si on veut plus d’entrepreneur·euse·s qui partagent des valeurs anticapitalistes, il faut d’abord arrêter de se chicaner entre allié·e·s.

Le militantisme peut être très élisite, particulièrement dans le choix des mots utilisés. Pourtant, les militant·e·s devraient être les premières personnes à savoir que ce n’est pas tout le monde qui possède les codes. Dans les écoles anarchistes, on n’apprend pas aux gens quoi penser, on leur apprend comment penser par eux-mêmes.

Les gens ne s’approprient pas certains mots ou ne se disent pas militants parce qu’ils ne veulent pas avoir un rôle et pouvoir se faire call back par après. Donc, ils préfèrent ne rien dire pour se protéger. Nous sommes probablement bien plus d’entrepreneurs et d’entrepreneuses anticapitalistes que nous le pensons!

 

Comment se rassembler davantage? 

  • Mettre son ego de côté.
  • Rejoindre des associations qui ont des buts politiques qui nous dépassent.
  • Rejoindre des gens qui ont des aspirations qui dépassent nos petites personnes.
  • Avoir des objectifs tellement plus grands que nous.

Selon Jasmine, il faut arrêter l’individualisme et le libéralisme dans nos propres milieux. Il faut s’entourer de gens qui apportent une nouvelle perspective.

 

Comment entreprendre en respectant ses valeurs de gauche?

À part si on veut vivre de façon marginalisée, on fait partie du système. Tu peux vouloir le faire changer de maintes façons, mais si tu ne travailles pas pour toi, tu vas travailler pour quelqu’un.

Pour faire bouger les choses, il faut de l’argent, des moyens. Même si nous aimerions que ça ne repose pas sur l’argent, c’est le cas. Le but est donc d’être rentable, mais sans oublier nos valeurs.

On pourrait résumer avec ce mot de la fin: « Mieux vaut travailler pour soi que pour un gros patron de merde.».

 

Mentionnés dans l’épisode

Pour découvrir Jasmine Touitou:

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2 Commentaires
  1. Merci pour cette interview qui me passionne !
    Et oui, je suis convaincue que l’entrepreneuriat peut exister dans un monde anticapitaliste 🙂

    De la même façon qu’il est possible d’entreprendre sans « tirer profit » du travail des autres, puis d’échanger cette valeur produite à un prix juste pour celle ou celui qui la désire. De construire ainsi une circulation basée sur la valeur (forcément subjective…).

    Les notions capitalistes sont tellement ancrées dans notre grille de lecture du monde – et tellement non conscientes aussi – qu’on n’a effectivement pas de mots pour décrire (et même penser) à un monde libéré des notions de croissance/profit/intérêt. Et pourtant… D’autres monnaies, d’autres systèmes monétaires, par exemple, apporteraient d’autres solutions.
    Et pourtant, la « valeur » produite par toute action humaine existe bel et bien et elle a vocation à être partagée, échangée, et à circuler, le plus librement possible, pour le plus grand bien de tous.
    C’était la promesse de départ de la monnaie (il y a 30 000 ans), aujourd’hui rendue caduque par CE système monétaire (basé sur la dette).

    Merci encore pour cet échange !

    Fabienne

    • Je suis contente que tu aies aimé l’entrevue! En effet, difficile d’imaginer un monde qui fonctionnerait avec un autre système.