Qu’est-ce que c’est, la fameuse expérience québécoise qui est demandée aux personnes immigrantes? À quoi sont-elles confrontées quand elles arrivent sur le marché du travail? Et est-ce que l’entrepreneuriat peut être une solution? Pour en jaser, je reçois Malik Mehni.
Originaire d’Algérie, il est arrivé au Québec en 2010. La réalité d’arriver sur le marché du travail comme personne immigrante, il l’a vécue.
Mets ça dans tes oreilles!
Quel est le parcours le plus adopté par les personnes immigrantes?
Beaucoup de personnes immigrantes changent souvent d’emplois durant les premières années suivant leur arrivée. Malik mentionne qu’il faut environ 5 ans pour un·e immigrant·e avant de se stabiliser dans un emploi.
La raison principale de cette instabilité, c’est que plusieurs doivent accepter un travail alimentaire à l’extérieur de leur domaine d’expertise afin d’assurer leur survie. C’est pourquoi plusieurs personnes surqualifiées travaillent dans des centres d’appel ou dans des magasins. Évidemment, ce n’est pas un projet à long terme.
Malik, lui, a tenu à travailler dans son domaine et ça a fini par payer après 5 ou 6 ans. Ça a été possible grâce à une grande détermination, mais aussi parce qu’il avait déjà un frère au Québec qui a pu l’aider à faire sa place dans le domaine numérique. Ce n’est pas une opportunité que tout le monde a.
Profiter d’un nouveau départ, ou survivre
Plusieurs personnes immigrantes provenant de l’Europe ou de pays plus fortunés (et Blancs, disons-le) arrivent avec des économies et sont parfois avantagées par les taux de change. Ça leur permet de voir l’immigration comme une opportunité pour faire la carrière dont elles rêvent, ou démarrer un projet entrepreneurial.
Mais c’est une situation qu’on voit beaucoup moins dans l’immigration provenant d’Afrique ou d’Asie. Souvent, ces personnes doivent réorienter leurs carrières en fonction des besoins et des opportunités. Et comme on a pu l’observer durant la pandémie, ce sont souvent des emplois sous-payés qui sont essentiels.
Le système a-t-il besoin de main-d’œuvre bon marché?
Karl Blackburn, le PDG du conseil du patronat du Québec l’a confirmé lors d’une entrevue à Zone économie:
“ Tout le monde veut bien vivre, mais malheureusement, l’économie ne fonctionne pas tout à fait de cette façon.”
Citation horrible, je suis d’accord avec toi!
Comme si c’était une demande déraisonnable d’avoir un salaire qui te permet un certain confort. Ne pas reconnaître les diplômes de personnes immigrantes et les diriger vers des emplois sous-payés, c’est une forme de racisme déguisé, selon moi.
Pourtant, les entreprises étatiques, comme Loto-Québec où Malik travaille, ne discriminent pas les gens à cause du manque d’expérience québécoise. Elles se basent sur les compétences réelles. Donc, quand l’embauche est bien encadrée au niveau de la diversité, ça marche! C’est plutôt la sphère des entreprises privées qui n’est pas contrôlée, qui est un peu sauvage, où les patron·nes embauchent avec des conditions qui ne font aucun sens pour les personnes immigrantes.
Est-ce que certains métiers font un rapport de force?
Selon Malik, certains métiers protègent leur salaire en conservant leur rapport de force. Par exemple, les médecins peuvent être payés de très hauts salaires parce qu’il y a une pénurie. Si du jour au lendemain, on met à niveau les médecins immigrant·es et qu’on se retrouve avec beaucoup de personnes pouvant exercer le métier, ceux-ci ne pourront plus justifier leur haut salaire de la même façon.
C’est une piste de réflexion à explorer.
Qu’est-ce que la fameuse expérience québécoise?
Je parle de l’expérience québécoise depuis le début de l’article. Qu’est-ce que c’est?
En fait, les entreprises privées demandent généralement d’avoir de l’expérience en terrain québécois pour être engagées dans leurs entreprises. Mais, si personne ne donne la première chance, comment acquérir cette fameuse expérience? 🙃
Pourtant, c’est illégal de refuser d’embaucher quelqu’un pour des raisons qui ne sont pas claires. L’“expérience québécoise” appartient à une zone grise. On ne peut pas dire que c’est du racisme, mais…
Pour pallier à ce manque de “première chance”, l’État finance l’embauche de personnes immigrantes. C’est donc la population qui, par ses taxes, se retrouve à payer alors que l’entreprise privée profite.
Avant, il y avait des écarts énormes entre les taux de chômage des personnes qui viennent d’arriver au Québec, et les Canadiens qui sont nés ici, alors que ce n’était pas du tout une question de compétences. Mais aujourd’hui, maintenant qu’il y a une grosse pénurie de main-d’œuvre, l’expérience québécoise ou canadienne n’est plus aussi pertinente. Bizarre.
Est-ce que les firmes EDI peuvent apporter une solution?
Certaines firmes se spécialisent en équité, diversité et inclusion. Elles travaillent avec des entreprises privées pour les éduquer et les inciter à embaucher et à inclure les personnes de différents backgrounds culturels.
Malik est d’accord, mais il soutient qu’il ne faut pas tomber dans un autre travers, soit celui de la tokenisation ou de la marchandisation des causes sociales. Il ne faut pas que ça devienne juste un effet commercial, une façade. Et pour échapper à ce genre de détournement, l’idéal est d’avoir les bons interlocuteurs autour de la table et de vérifier que cette firme, que cette entreprise, est vraiment ici pour la diversité et non pas pour autre chose.
Il faut que les firmes EDI montrent elles-mêmes l’exemple en termes de diversité.
Est-ce qu’il y a de la place dans le monde entrepreneurial pour les personnes immigrantes qui arrivent au Québec?
Malik trouve que oui, c’est une avenue qui est énormément proposée. Il a des amis qui ont ouvert des associations, des chambres de commerce communautaires et autres. L’entrepreneuriat est très médiatisé et recommandé chez les minorités. Par contre, ça crée la pression de créer sa propre entreprise plutôt que d’être discriminé·es comme employé·es.
Or, ce n’est pas tout le monde qui est fait pour l’entrepreneuriat. Oui, l’entrepreneuriat peut être une solution pour s’émanciper, mais l’écrasante majorité des gens ne sont pas faits pour l’entrepreneuriat ou n’y sont pas intéressés.
Comment convaincre les entreprises d’embaucher plus de personnes immigrantes?
Faire appel à la diversité, ça va clairement faire ressortir une entreprise par rapport à sa compétition. Ça va la forcer à penser différemment. Ce n’est pas non plus un hasard que justement, quand tu vas Silicon Valley, tu vois beaucoup de diversité.
Tu ne peux pas imaginer quelles idées peuvent venir d’une personne issue de la diversité ou d’une minorité, parce qu’elle va avoir un certain regard, une certaine vision des choses qui seront forcément différents et originaux par rapport à toi.
Les premières étapes pour t’ouvrir à la diversité
- Être curieux et curieuse sur LinkedIn et construire un réseau diversifié
- S’intéresser aux associations et aux groupes qui font la promotion de la diversité
- Délaisser certains critères d’embauches pour prendre le temps de discuter de l’expérience d’une personne et de ses compétences réelles
Je pense que je vais terminer sur l’expression québécoise « Passe-moi la poque, pis j’vais en compter des buts ». Donc, donne une chance, donne une première expérience, pis ça va te prouver que cette personne-là a pas mal plus de capacités que ce que tu pensais peut-être au début.
Qui est Malik Mehni?
Malik a travaillé comme développeur et comme spécialiste SEO et SEM. Il est maintenant chef de projet en marketing numérique et commercialisation externe pour Loto-Québec. Il a aussi écrit quelques articles pour Le Grenier aux nouvelles. Une des causes qui lui tient à cœur, c’est une meilleure répartition des richesses, parce qu’un monde avec une meilleure justice sociale va produire des citoyens et des citoyennes plus engagés et surtout mieux armés à comprendre le monde, puis à le sauver.
Mentionnés dans l’épisode de podcast
- Suis Malik sur LinkedIn
- L’article de Radio-Canada qui cite le PDG du Conseil du Patronat du Québec Karl Blackburn.
- Suis-moi sur Instagram @_slasheuse.co
Est-ce que cet épisode t’a fait réfléchir sur ton rapport à la diversité culturelle dans le monde du travail? Quelles actions penses-tu mettre en place? Dis-moi ça en commentaire ou viens poursuivre la discussion sous la publication de l’épisode sur Instagram @_slasheuse.co
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