Est-ce qu’on peut critiquer une femme ET quand même être féministe? Ou doit-on faire preuve d’une sororité sans condition? Grosse question et j’y réponds avec les concepts d’identité, d’intérêts et de valeurs.
Mets ça dans tes oreilles!
Pourquoi encourager plus de femmes à devenir riches, pour moi, c’est pas si féministe que ça? Cette question-là on me l’a posée souvent. Elle a été suggérée dans les sujets d’épisodes de podcast, et ça m’aura pris 59 épisodes parce que je cherchais la meilleure façon de l’expliquer clairement.
C’est encore une fois grâce à Erik Olin Wright que j’ai réussi à bien décortiquer ma pensée. Oui, c’est le livre d’un homme qui m’a aidé à expliquer ça. Pitchez moi des roches.
Il y a aussi le livre Feminism for the 99% qui est vraiment inspirant, que je suis en train de lire, mais que je n’ai pas terminé encore même s’il est tout petit. C’est dense!
Donc, pour expliquer pourquoi ce n’est ni contradictoire ni problématique pour moi de critiquer ouvertement des femmes, j’ai besoin de décortiquer 3 concepts: l’identité, les intérêts et les valeurs.
Qu’est-ce que l’identité?
Notre identité, c’est comment on se classifie par rapport à certains critères. Ces critères-là peuvent être basés sur le genre, la religion, la nationalité, l’ethnicité, l’opinion politique, nos rôles, etc. Par exemple, être une femme cisgenre, un homme trans, une personne noire, une musulmane, être Montréalaise, être indépendantiste ou fédéraliste, être mère, ce sont tous des traits qui peuvent définir des identités.
Mais il y a aussi des portions de l’identité qui sont basées sur les activités qu’on pratique: être marathonien, être musicienne jazz, etc.
Une partie de notre identité reflète les différences qu’on a avec les autres, et qu’on cultive, qui nous distingue.
On peut choisir de révéler ou pas une partie de notre identité selon le contexte.
Mais il y a aussi une partie de notre identité qui nous est imposée. Par exemple, que je révèle ou pas que je suis une femme, les gens me perçoivent quand même ainsi. Une personne noire ne peut pas cacher qu’elle est noire non plus.
Cette partie de notre identité qui nous est imposée, vient avec des préjugés favorables ou défavorables.
Dans son livre, Olin Wright citait une femme bosniaque qui disait justement “C’est un privilège de pouvoir se demander librement qui on est”.
Avoir des intérêts pour quelque chose
Deuxième concept, c’est celui d’avoir des intérêts dans quelque chose. Et là je ne parle pas d’intérêt comme “champ d’intérêt”, comme être intéressé·e à la poésie du 19ème siècle ou la poterie.
Par “avoir des intérêts”, je veux dire avoir quelque chose à gagner. Avoir des intérêts dans telle ou telle chose, c’est de prédire que si telle situation se produit, ça aura tels effets positifs sur moi. J’ai donc intérêt à ce que ça se produise.
Certains intérêts sont directement reliés à l’identité. Par exemple, une personne trans va avoir des intérêts dans la façon dont la classification de genre va donner accès à certaines ressources de santé.
D’autres fois, les intérêts ne sont pas liés à l’identité. Par exemple, tout le monde a intérêt à ce qu’on réduise le réchauffement climatique, qu’on s’identifie comme environnementaliste ou pas.
Et c’est là que je veux t’amener. On peut avoir des fausses conceptions sur nos intérêts.
On peut bénéficier d’une situation même si on croit pas que c’est dans notre intérêt, comme dans mon exemple de réchauffement climatique.
Mais on peut aussi nuire soi-même à nos intérêts en interprétant mal une situation. C’est le cas de certaines femmes qui sont contre les droits des femmes, parce qu’une partie de leur identité est en contradiction avec certains droits.
Ces fausses conceptions mènent à une pensée incorrecte sur comment le monde fonctionne et à un point de vue incorrect sur les effets de certaines actions.
Qu’est-ce que les valeurs?
Le troisième concept dont je veux parler, c’est celui des valeurs. C’est comment chaque personne classifie ce qui est bien, comment les gens devraient se comporter ou comment la société devrait fonctionner dans leur monde idéal.
Parfois, on va faire des actions dans lesquelles on a aucun intérêt parce qu’elles sont connectées à nos valeurs. Par exemple, si je vais marcher pour la libération du peuple palestinien, c’est parce que ça correspond à mes valeurs d’avoir un monde plus juste pour tous et toutes, et que chaque personne devrait pouvoir s’épanouir dans la vie. Mais je n’ai aucun intérêt dans cette cause-là. Que le peuple palestinien soit libre ou pas ne change absolument rien dans ma vie à moi.
Les valeurs sont extrêmement puissantes.
Et c’est pour ça qu’elles peuvent souvent être utilisées pour promouvoir des intérêts. Ce qui m’amène à la fameuse question de cet épisode!
Être une femme féministe joue sur l’identité et les valeurs, et ça vient aussi avec une panoplie d’intérêts. Est-ce qu’on a intérêt, en tant que femme et en tant que société, à ce que le monde soit plus égalitaire, accessible et juste? Bien sûr!
Différents courants féministes
Est-ce qu’être une femme riche est dans l’intérêt de la majorité des femmes et de la société? Non. C’est dans l’intérêt de cette femme en particulier.
Est-ce que je devrais éprouver de la gratitude que ce soit une femme et non un homme qui perpétue les oppressions capitalistes?
Est-ce que je devrais être heureuse que la ministre responsable de l’habitation, madame France-Hélène Duranceau, réduise l’accès à un loyer abordable parce qu’elle est une femme?
Est-ce que je devrais me réjouir quand une femme policière arrête une personne noire pour des motifs douteux parce que, aille, on a des femmes dans les forces de l’ordre?
Est-ce si je ne me réjouis pas et que je dénonce ces femmes, je suis moins féministe?
Il y a plusieurs courants au féminisme. Le féminisme libéral ne veut pas abolir la hiérarchie, il veut simplement la diversifier. En d’autres mots, ce féminisme veut autant de femmes que d’hommes dans les classes supérieures plutôt que de vouloir abolir le système de classes.
Avoir plus de femmes riches ne fait pas en sorte qu’il y ait moins de femmes exploitées. Abolir les classes, oui.
Le féminisme intersectionnel prend en compte les différentes oppressions qu’une même femme peut subir. Et on se bat sur tous les fronts pour les intérêts de la majorité.
Donc, oui, je vais continuer de dénoncer les femmes qui ont des comportements oppressifs, mais je ne m’attaque pas à leurs identités de femmes ni à leurs valeurs féministes, ni à MES valeurs féministes. Je ne dis pas que ces femmes ne sont pas féministes. Ce que je dis, ce que leur façon d’exprimer et de vivre leur féminisme est dans leur intérêt personnel. Et moi je me bas pour les intérêts de la majorité.
Utiliser des valeurs pour nos propres intérêts, c’est ce qu’on appelle du washing
Donc, quand tu veux te positionner sur une situation ou que tu te demandes pourquoi les autres ont telles ou telles actions, interroge-toi sur comment c’est en lien avec l’identité, les intérêts et les valeurs. Ça va te permettre une meilleure connaissance de toi et des autres.
C’est une stratégie marketing d’utiliser les valeurs pour promouvoir des intérêts personnels. Tout le greenwashing, le pinkwashing, etc. est basé là-dessus. Le washing, c’est d’utiliser des causes sociales comme les droits des personnes queer pour promouvoir des intérêts personnels comme “acheter nos t-shirts”.
À mon avis, il y a différents degrés de washing. Moins une entreprise respecte une valeur tout au long de l’année, mais la flash lors d’une journée spéciale, plus c’est du washing. Mais tu pourrais peut-être dire que le fait que je me positionne féministe dans cet épisode est une certaine forme de washing parce que mon intérêt avec ce podcast, c’est quand même de vendre mes services.
Utiliser des valeurs pour vendre, c’est toujours délicat. Je suis pour le faire, on en a parlé avec Stéphanie Gélinas dans l’épisode 28. mais oui, ça peut susciter la critique. Pis c’est correct.
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